Partie V: Amor Mundi

J’ai lu avec grand intérêt le message pascal d’Inge Vervotte le week-end dernier. Son appel à refaire de « l’amour et la responsabilité envers le monde »- Amor Mundi – une norme primaire m’a parlé. Si nécessaire, Inge Vervotte aspire à une résistance civile pour faire changer les choses en ces circonstances exceptionnelles.  Son ambition et son engagement attisent ma sympathie. Cependant, entendre ce genre de discours de la bouche d’une ancienne ministre du Bien-Être me met quelque peu mal à l’aise.

Le COVID-19 nous donne à réfléchir sur l’équilibre entre santé et économie. Il nous pousse à évaluer dans quelle mesure il nous est possible d’allier bonheur et épanouissement personnels, tout en entretenant une relation significative avec autrui. Le moment est venu pour plus d’ « Amor Mundi », l’amour du monde, ainsi que l’appela la philosophe Hannah Arendt dans les années 1950 d’après-guerre. Mais comment intégrer cet amour à notre contexte contemporain ?

La crise actuelle a déjà exposé quelques problèmes depuis longtemps tapis dans l’ombre. Il me semble évident que la solution ne se trouve pas dans un énième perfectionnement des structures et des procédés existants. Notre constante poursuite de gain d’efficacité, d’optimisation, d’échelle et de croissance nous en a fait perdre toutes les raisons de vue. Et maintenant que ce virus frappe sans pitié dans les maisons de repos et de soins, la réalité ressurgit douloureusement. Nous assistons impuissants au spectacle de nos (grands-)parents bien-aimés, qui se font retirer le droit de partir dignement. 

Il est clair que ce défi social est complexe, et que nos institutions sont loin d’y être adaptées. Nos structures et procédés actuels nous ont en effet apporté une grande prospérité dans le passé. Ils nous poussent à la production et à la consommation de masse. En bref, ils nous confrontent à des problèmes prévisibles, qui peuvent être gérés par une hiérarchie. Le cas des masques buccaux en est un exemple frappant. En privilégiant la rentabilité et l’optimisation, nous avons même confié à la Chine la production de matériel médical indispensable.  Sans compter le fait que nous n’avons même plus de réserve stratégique ; notre personnel soignant se trouve aujourd’hui au bord du désespoir. Cette pandémie, au même titre que l’urgence climatique, est un bon exemple d’une crise imprévisible contre laquelle notre modèle actuel n’est pas armé. De petites causes peuvent avoir d’immenses conséquences. Souvenez-vous de cette métaphore : le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut provoquer un ouragan de l’autre côté de la planète. C’est ce qui s’est passé avec la chauve-souris d’un marché de fruits de mer à Wuhan.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à la dynamique d’un système complexe. Les règles du jeu ont soudain totalement changé. La physique parle de transition de phase, comme par exemple lorsque la glace se transforme en eau. La température change, mais la fonte de la glace modifie aussi complètement la structure et les propriétés de l’élément chimique. Notre management d’un côté, et nos structures et procédés actuels de l’autre ne laissent pas vraiment de place à une grande complexité. Au contraire : tout a été pensé pour favoriser l’efficacité et le « just in time ». Des faits complexes exigent une organisation complexe, comme des réseaux dont l’ensemble est supérieur à la somme des parties. Le personnel de Decathlon, par exemple, au chômage pour force majeure, peut être engagé au Colruyt. Une telle exploitation des réseaux sera toujours plus nécessaire à l’avenir.

De concert avec nos partenaires et nos clients, chez Cronos nous entreprenons à échelle humaine,   au sein de notre réseau de 500 initiatives technologiques à petite échelle. Donner la chance aux jeunes et apporter l’innovation sur le marché est inscrit dans nos gènes, j’entretiens donc la ferme conviction que notre organisation est construite pour supporter des crises comme celle-ci. Nous disposons de toutes les possibilités pour jouer un rôle important dans cette transition de phase sociale et économique vers une société inclusive. 

Mais revenons à l’écueil du domaine des soins. Ces huit dernières années, j’étais président de Sint-Oda et administrateur de l’ASBL Stijn, un réseau de service d’aide aux personnes handicapées. Depuis l’été dernier – bien avant la crise du coronavirus – le débat au sein de cette ASBL s’active autour de la structure organisationnelle et des démarches pour l’avenir. Je suis moi-même convaincu que nous devrions examiner le soin avec les jumelles de la complexité. Selon moi, les structures et procédés existants ne suffisent plus à proposer des réponses aux questions les plus complexes. Notre traque à l’efficacité et à l’optimisation nous a fait perdre de vue toutes nos premières motivations. Pourquoi avons-nous transformé les institutions de soin pour personnes handicapées et les maisons de retraite en vulgaires infirmeries ? Ne serait-il pas plus intelligent de créer des quartiers résidentiels suffisamment encadrés et soutenus par les hôpitaux et les centre médicaux locaux ? Car qui veut encore aller vivre dans les centres de soins ? Ou y laisser ses parents ?

Pourquoi n’accordons-nous pas plus de libertés aux résidents ? Pourquoi n’envisageons-nous pas de les laisser vivre dans de petites collectivités inclusives ? Pourquoi ne les aidons-nous pas, pour ceux qui le peuvent encore, à la cuisine, au ménage, au repassage, au jardinage et au bricolage comme ils l’ont fait toute leur vie ? Tout le monde peut aider à son rythme, avec le soutien de la jeunesse. Pourquoi les abandonnons-nous dans ces grands centres de soins si impersonnels ? Ces centres doivent-ils d’ailleurs être soumis à une direction efficace et protocolaire, et vecteurs d’un rendement financier par dessus le marché ? L’efficacité érode la confiance du patient, son sentiment de bonheur, l’investissement du personnel,… Bref : l’efficacité nuit au bien-être de tous les concernés. Je suis donc également convaincu que des habitations plus petites et plus inclusives sont le modèle du futur. Elles généreraient un travail faisable, et contribueraient au sentiment de bonheur de ses habitants. C’était quand même notre but premier à tous ?

De telles habitations individuelles et à plus petite échelle bénéficieraient du soutien des nouvelles technologies. La numérisation, la robotique et les progrès de la biotechnologie se chargent d’apporter toute l’attention et le soutien nécessaires à ceux qui en ont besoin, au moment où ils en ont besoin. Les personnes âgées ou vulnérables pourront ainsi assurer un suivi de leur santé par la télémédecine. Dans le cas d’une affection soudaine, l’IA leur permettra d’être immédiatement pris en charge par l’hôpital le plus adapté.

Tout comme l’industrie a apporté une prospérité au consommateur moyen par la production de masse, la médecine a jusqu’à maintenant apporté la santé au patient moyen par la voie clinique et des traitements standardisés uniformes.

La société inclusive de l’avenir permettra un soin individuel (la médecine individuelle) aligné sur la prophylaxie et la prévention de l’aggravation des pathologies. C’est ainsi que nous prolongerons notre espérance de vie saine. Nous traiterons activement nos propres données de santé tout au long de notre vie de centenaire. Nous construirons notre propre santé au cours de chacune des étapes de notre vie.

En 2015, les Nations Unies ont établi avec beaucoup d’Amor Mundi le nouvel Agenda mondial du développement durable pour 2030. Ils définirent 17 Objectifs de développement durable (SDG) qui constituent la base d’une société inclusive.

SDG 3: Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge. Une vie agréable, saine et entière pour tous doit devenir un standard. Chacun doit avoir accès à un service personnalisé et de la meilleure qualité possible,  garanti par les réseaux de communication de la génération à venir, par le support médical basé sur l’IA et par la télémédecine. 

Je voudrais inviter tout le monde à participer à la construction d’une société inclusive. Il s’agit à mes yeux d’un environnement durable qui place l’humain en son centre, qui réserve une place à chacun, et où nous exploitons les nouvelles technologies ou d’autres outils encore.  Profitons de cette crise pour accélérer la transition de phase !

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